Lorsqu’on prend connaissance des votes par communes, notamment en relation avec le vote de 2014, on comprend mieux la force de rejet de la ville où seul un citoyen sur quatre a dit oui. Il y a donc un basculement des mentalités qui a été acté par le gouvernement par un changement de stratégie qui consistait à développer les transports en commun (TC) et promouvoir l’autoroute de contournement ouest.Aujourd’hui, soit 23 ans plus tard, ces projets ont été menés à bien. Pourtant, la situation s’est aggravée à tel point qu’il faut à nouveau agrandir l’autoroute de contournement et le réseau des TC, qui a été très largement développé avec de nouvelles lignes de trams qui traverseront à terme la frontière, est complètement saturé aux heures de pointe.
L’absence presque totale de développement des infrastructures routières qui, au contraire, se sont vues entravées sur les grands axes par les sites propres des TC, a induit le blocage presque permanent de la ville et surtout de la moyenne ceinture qui n’est pas optimisée pour absorber les transferts de charges.
Mais la raison de cet échec tient surtout à la manière de proposer l’objet au scrutin. En demandant aux Genevois de se prononcer pour un tunnel entre le Port Noir et l’avenue de France, ou un pont plus au large, on a divisé tout le monde.
Jean de Tolédo, dans son inlassable combat avait pourtant mis en garde sur les risques de remettre en cause le résultat de 1988. Afin d’éviter cette débâcle, Me Pierre-Louis Manfrini et Me Daniel Peregrina ont suggéré de procéder avec un contre-projet indirect qui consistait à proposer au scrutin uniquement la moyenne traversée (tunnel), qui avait la faveur des initiants, tout en approuvant la solution périurbaine (pont) comme solution de réserve au cas où la moyenne traversée serait refusée par le peuple.
Le Grand Conseil devait donc choisir le tunnel et le soumettre au référendum obligatoire et simultanément proposer l’alternative du pont, recommandée par les experts et le Conseil d’Etat, comme solution subsidiaire par une clause suspensive si le peuple devait rejeter le tunnel. Cette procédure de vote aurait pour effet de faire automatiquement entrer en vigueur l’autre solution, sous réserve du lancement d’un référendum.
Les opposants ont dénoncé vigoureusement ce processus peu démocratique qui obligeait quiconque refusait le tunnel de devoir implicitement accepter le pont. Le Grand Conseil, incapable de trancher dans sa séance houleuse du 15 mai 1992 a mis le Conseil d’Etat dans l’embarras.
Les sept sages ont donc requis l’avis de l’ancien magistrat socialiste Bernard Ziegler qui suggéra l’équation suivante :
Projet 1 : Le peuple accepte-t-il d’ouvrir un crédit pour réaliser la traversée urbaine de la rade, allant de l’avenue de France au Port-Noir ?
Projet 2 : le peuple accepte-t-il d’ouvrir un crédit pour la traversée périurbaine ?
En cas de double oui, question subsidiaire : est-ce le projet 1 ou le projet 2 qui doit entrer en vigueur?
Le Conseil d’Etat est perplexe et mandate un troisième expert, le professeur de droit neuchâtelois Jean-François Aubert pour trancher sur la façon de voter.
Ses conclusions tiennent en trois points :
– la proposition du jury d’un tunnel ou d’un pont situé sur le même trajet Reposoir-Genève-Plage n’est pas conforme à la Constitution genevoise car elle s’écarte de l’initiative populaire adoptée en 1988 qui, bien que non formulée, situait l’ouvrage entre le pont du Mont-Blanc et une ligne tirée entre l’avenue de France et la Nautique, ou le Port-Noir.
– La solution du contre-projet indirect de Mes Manfrini et Peregrina ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel mais ne permet pas une expression complète de la volonté des citoyens.
– Le contre-projet direct de Ziegler est juste et honnête mais ne peut être considéré conforme au droit constitutionnel et législatif qu’au prix d’efforts d’interprétation avec tous les risques de recours au Tribunal fédéral.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat s’est rallié à cet avis de droit pour donner le choix au peuple entre un tunnel et un pont avec la question subsidiaire de la préférence.
L’histoire nous a montré à quel point les craintes de Jean de Tolédo étaient fondées.
Un autre élément déterminant de cet échec incombe à la solution proposée d’augmenter l’impôt sur les véhicules pour financer l’ouvrage. Comme en 1964, les Genevois refusent cette taxe qui reste pourtant inférieure à la moyenne suisse.
L’impôt sur les carburants ne rapportant plus suffisamment, le Conseil fédéral voit d’un bon oeil le principe de péage sur certains ouvrages qui a le mérite de respecter le principe de l’utilisateur payeur même s’il ne tient pas compte des effets collatéraux bénéfiques pour tous les citoyens à qui la ville est rendue.